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Le nageur ivre

Le nageur ivre

 

Frétillants, prêt à fuir, frais comme des gardons,
Fuselés, vêtus de nos combis de dauphins,
Noirs des pieds à la tête au loin nous regardons
Les cinq bouées du lac. PAN ! L’attente a pris fin !

Marée de bonnets blancs recouvrant Serre-Ponçon,
Des papillons de nuit frénétiques qui battent
Des jambes et des bras. Des humains qui se battent,
Des blattes affolées autour d’un lumignon !

L’aube embrase soudain les sommets souverains,
L’homme-poisson qui glisse au-dessus des herbages
A chaque goulée d’air entrevoit son destin
Sec et chaud quand il aura quitté son pelage.

Massée au long des rues la foule l’accompagne,
Le voit se découvrir, arracher sa pelure -
Dessous brille la tri – enfiler son armure :
Des cale-pieds, un casque et des dents de montagne.

Commence alors le ballet sans fin des cyclistes
Moulinant dans les airs comme au bout d’un mobile,
Montant et descendant cinq mil mètres de piste
En danseuse en fusée  à pied, déjà débiles.

Les Méans ne sont qu’un premier amuse-gueule,
Scotchés comme des poux sur les pentes du col
Les athlètes tirent la langue ouvrent la gueule,
Franchissent les pourcents de la piste d’envol.

L’Izoard est gravi, cent bornes avalées,
Ils basculent à temps, prennent de la vitesse
Avant d’être freinés par des côtes sans cesse.
Au pied du mont Chalvet, battus, rincés, hâlés,

Ils vont chercher profond les gouttes d’énergie
Précieuses qu’il leur reste et qu’il faudra sucer
Et resucer encore avant que d’arriver…
Puiser dans le bidon, vaincre ses allergies,

Pogner un vieux sandwich au pâté écœurant –
Ce qu’il aurait dû faire au lieu de parader –
Dégrafer sa chaussure et tenir en courant
Sa bécane à la main ; assis, être massé.

Deux boucles pour finir, rien que deux, deux semis,
Deux calvaires de plomb, deux longs chemins de croix,
Deux traversées d’Embrun, plus conscient qu’à demi,
En marchant, à genoux ou rampant c’est au choix.

Sentier de gloire ou purgatoire c’est selon.
La chaleur étouffante en fin d’après-midi
Puis les premiers zéphyrs au bout du marathon,
La fraicheur, les clameurs et les feux dans la nuit.

L’arrivée improbable après seize heures pleines
D’un pantin desséché levant les bras en V
Qui en homme ordinaire a délaissé la plaine
Tôt ce matin et qui n’a plus rien à envier.

Car il a réussi ce que peu peuvent faire
Et il s’enorgueillit de son nouveau statut
Et il ne bouge plus semblable à la statue
Sauf qu’il bombe le sein comme un homme de fer.

Perdu dans ses pensées sur son socle d’airain
Il reparcourt l’épreuve et masse ses genoux.
Il se sent un peu fier et n’est plus du commun
Toute chose est joyeuse et tout plaisir est doux.

Son objectif atteint il n’est plus que délices,
Qu’amour et que partage, il connait la misère
Du monde et la comprend. Pour l’heure il se délasse
Et tous ses sentiments communient de concert.

Souvenirs de souffrance, douleurs, béatitudes,
Le guerrier apaisé gorgé d’endomorphines
Se repait dans le train de cette plénitude,
Des plaisirs de la vie, de cette coupe fine

Qu’il dresse en rêvant, de ces bulles légères
Qui lui monte au cerveau, de sa médaille au cou
Et de ce titre anglais. Car être un finisher
Du plus dur triathlon lui importe beaucoup.

Aymeric de L’Hermuzière

Poème aimablement communiqué
par l’auteur pour le site de l’OBP
Avec tous nos remerciements.

Mis en ligne le 16.12.12