C. Amstatt : Coeur de brume vu par N. Cousin

 

CHRISTIAN AMSTATT, Cœur de brume, Orthez, France-Libris, 2015, 72 p.

ISBN 9782355193392 – 10 €. Site de l’éditeur : http://www.france-libris.fr/

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Cœur de brume, 7e recueil édité de Christian Amstatt, m’a laissé une forte impression d’émotion et de beauté. J’ai aimé le titre tout d’abord, ouvert à toutes les rêveries et toutes les interprétations possibles : ainsi chacun peut y voir ce qu’il veut. Pour moi, il m’inspira une lecture plurielle aux confluents de la poésie, de la peinture et de la musique (1).

Le cœur de brume dont il est question ici apparaît souvent plus près d’un brouillard ou d’un smog dense, épais et sombre - m’évoquant certains effets de nuit et clairs de lune de Turner ou ses gravures à la « manière noire », ou encore les Nocturnes aux correspondances musicales de Whistler - que des brumes matinales légères et aériennes aux douces teintes pastel de certaines toiles de Monet ou de bien d’autres paysagistes. Il m’évoque aussi, parmi des milliers de possibles, les « paysages brumeux » de Prague du photographe tchèque Josef Sudek exposés au Jeu de Paume cette année.

Chez C. Amstatt, la météo du cœur reflète celle de la nature ; au rythme des saisons et des alternances jour nuit,  le cœur suit les écarts de son baromètre : entre brume et brouillard, le nuage de mots-clés inclut froid, neige, glace ou chaleur brûlante, pluie ou soleil, vent, tempêtes, bourrasques. Le cœur voyage « aux pays lointains des ombres fragiles », s’identifie mimologiquement avec les paysages, mer, désert, lande, rivages de fleuves et rivières, banquise, ou des lieux marécageux, poussiéreux, fangeux comme les égouts. Il faut être « orpailleur de la fange » pour les nettoyer, retrouver la pureté et la transparence.

Face à la dureté du monde, aux désastres et naufrages menaçant une humanité en perdition -« Et le Touareg bleu regardant vers l’Inuit / verra comment sombre un monde / où l’homme se croyait éternel »- où le temps-fantôme file vers sa perte, le cœur du poète brouillé par la brume, est constamment soumis aux doutes, à l’indécision, aux regrets, à la solitude, à l’ennui, au dégoût, à la peur, à l’aveuglement. Il est confronté à « l’errance en rond », à l’exil, à la mort, au néant, aux « blessures de l’âme », exprimées par de superbes métaphores  telles que « les fontaines d’absence », « le trou noir de l’inconscience », « les cimes ensorcelées du vide », « les miroirs brisés du bonheur en miettes », « les déserts de l’amour ».

Mais au milieu de ces chants désenchantés (je pense au spleen baudelairien, aux brumes du cœur des poètes symbolistes (2)), naissent des lueurs d’espérance, d’éphémères joies, des « méandres d’éternité ». On y entend des « musiques lointaines étouffées aux pentes de l’écho » « dans l’infini d’un chant que les fulgurances apaisent »…

Et c’est par le rêve et la poésie que le poète recrée l’univers, « perfore le noir d’un silence qui parle ». « Et l’indécise nuit se fera jour à la jonction du désert et de la lumière ».

« Le silence est de verre / et la bulle des paroles / éclate et meurt dans l’air / mais le temps n’use ni le silence / ni la patience de nos rêves ».

 

NATHALIE COUSIN

juillet 2016

 

 

Whistler peinture brume

Whistler, Nocturne en gris et or. Neige à Chelsea, 1876 (D.R.)

 


Notes :

(1) Je lisais Cœur de brume quand se sont imposés à moi fortuitement des rapprochements avec Turner, Whistler, Monet [cf. catalogue de l’exposition tenue à Paris, aux Galeries nationales du Grand Palais, 11.10.2004-17.1.2005, sous la direction de Katharine Lochnan], Réunion des musées nationaux, 2004]. [Voir aussi : Turner, Whistler, Monet : un siècle de lumière,  n° de Télérama hors série, oct. 2004].

(2) Par exemple : Stéphane Mallarmé (« L’azur »), Paul Verlaine (« La neige à travers la brume »), Emile Verhaeren (« Les brumes d’hiver »), Jean Moréas (« Accalmie »), Georges Rodenbach (« Le rouet des brumes » : contes)...

 

 


Mise en ligne de cette page : 12.07.16

(Note de lecture également à paraître dans la revue L'Ouvre Boîte à Poèmes)