Un appel de détresse
De Musset, de Vigny, Lamartine et Victor
Volez à mon secours car vous fûtes mes maîtres
Au temps où je cherchais à m’initier aux Lettres
Et partais dérober ma propre Toison d’Or.
Je n’étais que potache et me croyais Jason
Tandis que mon Argo naviguait dans ma tête.
Alors le moindre vers jeté par un poète
Faisait vibrer mon âme et perdre la raison.
Tirades et sonnets, ballades et rondeaux
Résonnaient en mon cœur, bousculaient mes neurones.
Je tressai des lauriers et j’élevai des trônes
À ceux qui me faisaient de si précieux cadeaux.
Puis vint le jour béni (ou peut-être maudit)
Où je me décidais à gribouiller des rimes.
La peur me tenaillait de commettre des crimes
Et de perdre à jamais mon modeste crédit.
Depuis longtemps déjà je m’étais rapproché,
Sans doute inconsciemment, du monde romantique
Qui sait chanter l’amour, glorieux ou nostalgique,
Avec des mots choisis, un style recherché.
Mais je savais aussi que ces poètes-là,
Véritables témoins du siècle dix-neuvième,
Étaient nés à l’instant où l’écrivain suprême
Que fut Chateaubriand publiait Atala.
Ils ont filé leur vie entre deux empereurs.
Le prestige de l’un nourrissait les mémoires,
Le second ternira les pages des grimoires.
La Commune viendra pour solder les erreurs.
Ils étaient animés d’une double passion
Et suivaient leur destin sautant de flamme en flamme.
Un jour on les voyait qui glorifiaient la femme
Un autre ils pourfendaient toute compromission.
Ils pleuraient à la fois sur l’infidélité
De celles qu’ils aimaient, de leurs belles maîtresses,
Et sur le sort contraire et toutes les détresses
De ceux que l’on condamne à vivre en pauvreté.
Pas plus qu’ils ne voulaient hurler avec les loups
Ils n’entendaient pleurer et déverser leurs larmes
Avec ces innocents sans défense et sans armes,
Ces malheureux agneaux qui reçoivent les coups.
Ces loups n’étaient-ils pas ces seigneurs arrogants
Ces orgueilleux nantis qui vivaient de leurs terres
Tandis que leurs fermiers aux pauvres vies austères,
Se trouvaient enchaînés aux travaux fatigants ?
Hommes compatissants, poètes généreux,
À être votre égal je ne saurais prétendre.
J’ai pourtant le désir incessant de pourfendre
L’injustice qui frappe encor les miséreux.
Après un court répit qui laissait entrevoir
La fin de la misère et de toute souffrance,
Un voile ténébreux a recouvert la France
Et de le dénoncer je me fais un devoir.
Poètes d’avant-hier mais toujours bien présents
J’honore à travers vous la poésie utile,
Celle qui jette au loin l’écriture futile
De quelques rimailleurs aux accents complaisants.
Je ne prétendrais pas devenir votre égal
Mais veuillez pour le moins juste le temps d’un rêve
M’accepter près de vous tel un modeste élève
Et faire un peu de moi votre héritier légal.
Jusqu’à mon dernier jour et ma dernière nuit
Je serai le gardien intraitable et fidèle
De ces vers évoquant le frémissement d’aile
D’un aigle survolant le désert de l’ennui.
Poètes de ce temps, volez à mon secours.
Je veux être cet aigle et ne sais comment faire
Pour prendre mon envol et sortir de mon aire
Et chanter comme vous les plus grandes amours.
Pourquoi ne puis-je pas hurler à pleine voix
Du milieu du désert, du fond du labyrinthe
Pour me faire l’écho de ceux qui par contrainte
Sont condamnés à suivre un long chemin de croix ?
Je n’ai votre génie et le regrette tant
Quand je vois mon pays sombrer dans l’indolence
Et perdre ses valeurs en toute indifférence.
Le poète aujourd'hui doit être un résistant.
Merci, mes chers anciens qui m’avaient confié
La flamme qui jamais ne s’éteint mais vacille
Dans le cœur du poète à jamais indocile,
Honoré quelques fois mais souvent crucifié.
Yves-Fred Boisset,
décembre 2014