S. Josserand : Le murmure du silence vu par N. Cousin
Sylvain Josserand, Le murmure du silence,
illustrations de l’auteur, Paris, Collection Le Parc, 2016, 132 p.
ISBN 978-2-9551423-3-2 – 12 €
Compte rendu de lecture par Nathalie Cousin
Avec Le murmure du silence, Sylvain Josserand nous offre un remarquable scipilège1 de 90 poèmes, comme autant d’épis à glaner, de pas à accomplir, ou d’échelons à gravir de la Terre au Ciel.
Cinq parties le composent en donnant les principales tonalités : « Cheminements » (43 poèmes), « Mort » (14 poèmes), « Amour » (13 poèmes), « Scènes de vie » (14 poèmes), « Épilogue » (6 poèmes).
Pour Sylvain Josserand : « La poésie n’est pour moi ni un esthétisme ni un art d’agrément mais une confrontation entre le divin et le malin en Soi. Elle occupe une place singulière dans la création littéraire car elle ne suit ni les modes ni les coteries du moment mais questionne inlassablement les secrets et les mystères de notre place dans l’univers. »
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Dans sa quête à la fois poétique, spirituelle, initiatique…, Sylvain Josserand se réfère explicitement à Nicolas Dieterlé, autre poète et artiste qui l’éblouit autant que Vincent Van Gogh (Cf. poème « Vincent à Auvers » p. 39). Mais il puise également à de multiples sources, faisant allusion aussi bien à des symboles ou concepts bibliques, chrétiens, hébraïques, à la cosmogonie chinoise et japonaise (Qi, Ying et Yang), ou hindoue (prâna ou souffle vital, kundalini), aux figures de la mythologie égyptienne (Isis) ou grecque antique (Icare, Prométhée, Sisyphe…), aux croyances nordiques, celtiques (forêt de Brocéliande, héros wagnériens), etc.
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Un des mots-clés de Sylvain Josserand sur lesquels je voudrais insister est « Reliance2 ».
« Le poète te montre la reliance entre le haut et le bas. / Entre le Ciel et la Terre. / Entre la Terre et le Ciel. / Entre toi et tout le reste de la Création : les minéraux, les végétaux, les animaux. » (p. 14-15).
« Reliance de l’humanité placée devant ses choix et sa propre finitude / Fil fragile reliant l’Homme au cosmos sous le regard amusé d’un Dieu clément » (p. 30)
(…) « Tout est reliance et communion avec l’énergie divine » (p. 53)
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Cette notion permet également de se libérer des « puissances antagonistes et mortifères » (p. 56) du « monde extérieur » qui marche à contre-sens, en se tournant vers l’intérieur (de l’Être ou du Soi). Sans cesse revient ce mot : « cité intérieure » (p. 56), « Karaoké intérieur » (p. 55), « terre intérieure » (p. 55), « animaux intérieurs » (p. 31), « T’ouvrir à ta lumière intérieure » (p. 49) « petite voix intérieure » (p. 52).
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Les visages dessinés par Sylvain Josserand, comme celui dessiné par Nicolas Dieterlé, expriment cette intériorité silencieuse, en gardant leur part de mystère et leur clair-obscur, entre Ombre et Lumière3.
« L’art et la poésie révèlent la partie invisible des choses […] » (p. 53)
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Ce retournement vers l’intérieur est ce que Carl Gustav Jung4 appelle metanoia (mot qui apparaît dans le même poème « Téchouva ou retournement ») :
« C’est en fait la metanoia, la conversio, point de départ de toutes les aventures de l’âme, l’abandon des normes de la vie courante pour se tourner vers l’intérieur afin d’y enfanter un nouvel ordre. Cette périlleuse descente faustienne dans le monde des mères se termine, vers 1918, par l'atteinte d'un nouvel équilibre fait de communication entre la conscience et l'inconscient5. »
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Pour Sylvain Josserand, « le rôle de l’artiste est d’être le messager du divin » (p. 119).
Le dieu des Voyageurs, Hermès, s’il n’est pas cité, me semble présent dans ce recueil où l’on chemine, marche, « voyage au bout de la Terre », géographiquement comme mentalement, dans des lieux réels ou imaginaires, en pleine Nature, dans les bois et la forêt de Brocéliande, sur la plage de Paramé, où l’on rêve éveillé de l’archipel de Kiloubator ou d’une chasse au tigre en Papazounie (p. 38), où « l’Amour de [votre] vie vous offre un espace de [sa] liberté, où votre « liberté s’exprime à travers l’autre par le truchement de la poésie et de la peinture. » (p. 22)
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Le murmure du silence nous ouvre des portes insoupçonnées. Il nous invite à méditer, à suivre notre « petite voix intérieure » (p. 52), pour faire notre propre metanoia, pour renaître à la Vie et donner un sens à celle-ci, dans l’espérance et la foi en la réconciliation avec l’Amour et « l’Amour universel », dans un état d’acceptation des choses au Temps Présent ». (p. 50)
Notes :
1. Recueil d’actes, de pièces, de traités, choix de morceaux, de pensées, d’observations, [etc.]. Empr. au lat. spicilegium « action de glaner » terme d'agric. (comp. de spica « épi » et legere « ramasser, recueillir »).
2. Qui possède la même étymologie que religion : « religare » qui signifie relier, rassembler. Dégagée de son sens religieux, la reliance est employée de nos jours dans un sens psychosociologique : « relation interpersonnelle, état de ce qui est relié, connecté. « Le concept a été proposé à l'origine par Roger Clausse (en 1963) pour indiquer un "besoin psychosocial (d'information) : de reliance par rapport à l'isolement". Il fut repris et réélaboré à la fin des années 1970 par Marcel Bolle de Bal, à partir d'une sociologie des médias. À la notion de connexions, la reliance va ajouter le sens, la finalité, l'insertion dans un système. — (René Barbier, « Flash existentiel et reliance », in Journal des chercheurs) » Cf. https://fr.wiktionary.org/wiki/reliance
3. Lumière douce, tamisée, pénombre. Dans un tableau, une gravure, un dessin, effet consistant à moduler la lumière sur un fond d’ombre, suggérant ainsi le relief et la profondeur.
4. Cité p.49 : « la névrose est cette maladie de l’âme qui n’a pas trouvé son sens ».
5. Cf. Étienne Perrot, « Jung, Carl Gustav (1875-1961) ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 28 novembre 2016. Disponible sur http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/carl-gustav-jung/
EXTRAITS
Cathédrale (p. 48)
La forêt est une cathédrale où j’aime marcher méditer et chanter
Les fûts des grands hêtres en sont les piliers
À la croisée d’ogive, le soleil transperce la ramée
Au déambulatoire, s’étirent les frêles noisetiers
Au transept, les arbres font couvige
Le charme querelleur discute avec l’orme imaginatif
L’érable raffiné s’entretient d’intelligence avec l’olivier
Le tilleul délicat s’apitoie sur un craintif saule pleureur
Le cyprès cultive son indépendance près du gracieux peuplier
Le frêne songeur rêve avec le pin perfectionniste
Dans les chapelles, pommiers, châtaigniers et orangers nourrissent de fruits les saints agenouillés
Le sorbier soprane, le figuier à voix de basse, le bouleau ténor psalmodient avec l’orgue en once de noyer
Le sapin, l’if, le mélèze et le cèdre du Liban portent les candélabres et les bâtonnets d’encens
Dans le chœur, anges, archanges et chérubins font une fête au vieux chêne dont les bras noueux s’étirent en prière jusqu’à Dieu.
Téchouva ou retournement (p. 49)
Les horreurs du monde t’ont rendu sourd et aveugle
Tu ne supportes plus les croque-morts du Vingt-heures
Le dégueulis musical de ton hypermarché te porte sur les nerfs
Tu n’as plus d’odorat depuis que, sur le boulevard Ney, on charrie des gravats au milieu des gamines tarifées des pays de l’Est
Tu es sans voix quand tu voix comment on taudifie des Roumains Porte de la Chapelle
Tu n’as plus aucun goût pour le bœuf-mode, le gratin-dauphinois ou le célerie-remoulade fabriqués en batterie dans des usines à bouffe
Comme le monde va à contre-sens de tes sens et du sens commun
Que l’Humanisme n’est plus qu’un lambeau de misère
Cramé par les lampions funèbres des cendres du siècle des Lumières
Et que partout autour de toi, comme disait Jung, la névrose est cette maladie de l’âme qui n’a pas trouvé sons sens
Tu voudrais faire ta téchouva, ta metanoia, ton retournement
Perdre ta vieille peau et renaître à la Vie
T’ouvrir à ta lumière intérieure
Ouvre-toi ! Ephatah
Ne plus être aveugle à ce trésor enfoui en Toi de toute éternité
Ne plus être sourd à cette petite voix qui te dit :
« Tu n’es plus l’esclave du monde extérieur
Tu es un Homme libre
Tes sens prendront alors un autre sens
Tu ne seras plus dominé par eux
Tu verras ta vie autrement
Le monde changera autour de Toi
La haine, la violence et la pauvreté ne seront plus que de lointains souvenirs
Car la direction du Monde suivra la même boussole que la Planète Terre
Et n’ira plus à contre-sens de sa propre évolution, de sa propre Révolution »
Sylvain Josserand, Le Murmure du Silence
Petit abécédaire du Murmure du silence
A : Amour, ami - amitié, ange - archange, arbre, art – artiste, autre, âme, animus – anima.
B : Beau, beauté, baladin, Brocéliande.
C : Chemin – cheminement(s), conscience, communion, clair-obscur, [cosmopolitisme]
D : Dieu-divin, Dieterlé (Nicolas)
E : Eveil – éveillé, Esprit, Être, Energie, Espérance, Eléments, échelle, enfants, errances, enfer, écrire
F : Forêt, frère, feu
G : Guerre
H : Haine, haïku, Homme, humour
I : Intérieur(e) (cité, karaoké, terre, voix, animaux, lumière), Isis
J : Joie – joyeux, jardin-jardinier, Jonker (Ingrid), Jung
K : Kundalini
L : Lumière - luminescence, Liberté – libération – libre, Lucifer
M : Messager, mort, murmure, mystère, mystique, mental, maître, miroir, metanoia, mère, mer
N : Nature, nom-nommer
O : Ouverture, olivier, Ombre, oiseau
P : Poésie - poète, peinture, paradis, prière
Q : Qi, Quintessence
R : Renaissance, reliance, résurrection, rassemblement, révolution, résister, réconciliation, rêve, réminiscence, retournement
S : Silence, sens, Styx, Sagesse, songe, sapiens, spirale, Shoah, Soi, secret
T : Temps présent, terre, traces, téchouva
U :
V : Vie, voyage, Van Gogh (Vincent), volcan, voix intérieure, voie
Y : Ying et Yang
Z : Zen (jardin)
Bibliographie complémentaire pour aller plus loin :
Le blog de Sylvain Josserand :
« Atelier Sylvain Josserand, écrivain et plasticien »
http://sylvainjosserand.blogspot.fr/
Email : sylv.josserand@gmail.com
Sur Nicolas Dieterlé
Nicolas Dieterlé : http://www.pierre-et-oiseau.fr/wp/
Annpôl KASSIS et Gaetano PERSECHINI, Nicolas Dieterlé, Souffle et couleur poétiques, Paris, Editions du Cygne, 2011. ISBN : 978-2-84924-257-5 - 11,00 €
Sur Carl Gustav Jung
Jung, Carl Gustav, Psychologie et religion / Carl Gustav Jung ; traduit par Marthe Bernson,... et Gilbert Cahen, Paris, Buchet-Chastel, cop. 1958.
Mise en ligne de cette page : 28.11.16.
Tous remerciements à Sylvain Josserand pour les poèmes reproduits ici.
(Note de lecture également à paraître dans la revue L'Ouvre Boîte à Poèmes)