C. Schaeffer. Quantique de l'ombilic

 

ANNONCE DE PARUTION (mai 2020)

Christophe Schaeffer, Quantique de l'ombilic,
Paris, L'Improbable, collection Le Bruissement du sel, 2020, 65 p.
EAN 978284789029 2. (14 €).

 

Schaeffer couv1 quantique

 

 

Résumé de l'éditeur : Richard Ober

En cultivant les grains de sable qui enrouent la langue et font dérailler les chaînes de la pensée diurne, Christophe Schaeffer laisse percer de curieuses associations d'intermondes.
Oeil, langue, ventre, bouche, pieds, mains, le corps se disloque et dérive atomisé dans un océan de signifiants qui travaillent tout seuls.
Avec humour ou inspiré par un sens tragique de l'existence, le monde se met à tourner à l'envers, un grand charivari se déploie en cortège délirant qui égare le lecteur et le laisse désorienté face à l'ouvert des impossibles. (4e de couverture)


 

Notes de lecture

par Nathalie Cousin

 

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René Magritte, La clé de verre

« Car dans un vrai poème les mots portent leurs choses. »
(René Daumal, « La guerre sainte »)

«  C'est à ce moment que tout le contenu désordonné du souffle,
cette nébuleuse atomique d'images dissociées aux intentions
contrariantes, reçoit le choc de la Parole, qui lui impose
la forme et le sens, et en fait surgir une image-éclair. »

(René Daumal, Le Contre-Ciel)

Quantique de l’ombilic ! Quel titre en apparence alambiqué pour un lecteur ou une lectrice ne connaissant rien à la physique ou mécanique quantique (ni à sa philosophie) et qui se demande également dans quel sens prendre ici le mot "ombilic" ? Scientifique (noyau d'un atome ?), philosophique, mythologique, psychanalytique ? Et surtout, quels rapports de tout cela avec la poésie ?

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Quantique nous a d'abord fait penser à Guillevic, qui nomme "quanta" ses poèmes (à partir du recueil Du Domaine), entendant par là des petits "paquets d’énergie", c'est-à-dire des poèmes très courts, denses et fulgurants : « le poème n’est-il pas une forme d’énergie ? Energie destinée à atteindre le lecteur, et le résultat sera… imprévisible » écrit-il dans Vivre en poésie.  Depuis Guillevic, la notion de "poésie quantique" ou de "poète quantique" semble s'être répandue ; dans l'air du temps, elle donne lieu à de savantes études1 auxquelles nous pourrions nous référer, mais cela dépasserait trop notre cadre que d'aborder de cette façon la lecture de Quantique de l'ombilic. Aussi nous en tiendrons-nous à quelques notations brèves comme autant de pistes possibles, sachant qu'il y en aurait beaucoup d'autres à explorer...

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Les poèmes de Christophe Schaeffer dans ce recueil, apparaissent de style différent des trois précédents également publiés aux Éditions de l'Improbable (AImer à quatre temps, Horizon(s), Au revers de l'abîme). Nous pouvons les considérer, pour la plupart, comme des sortes de quanta (cf. la définition de Guillevic) par leur brièveté et leur densité : « Chaque matin il s’en allait traire le pis de son esprit ». Le ton est lancé : un véritable "trait d'esprit" fait voler en éclats l'opposition traditionnelle avec la matière ; le (al)lait ainsi produit va constituer un "ferment"2 au sens le plus littéral et le plus concret puisque la conséquence logique de cette fermentation-transformation aboutira au dernier quantum  : « Le soir il but le lait d’absolu caillé qu’il trouva bon ». Entre ces deux points de départ (chaque matin) et d'arrivée (le soir) se déploient 54 autres poèmes, formant une trajectoire aléatoire, (traversée des apparences ?), jalonnée par des thèmes récurrents : le renversement des valeurs entre sujets (humains) et objets ("la casquette perdit la tête" ou "deux verres penchaient la tête" ou "le livre posa la lectrice sur le canapé"...), l'usage constant de figures de styles (paronymies, homonymies jouant sur les rapports sons/sens, lapsus volontaires) ou des bifurcations de mots conduisant à des images étonnantes (détonantes) avec des changements de registres vertigineux extrêmement rapides (« Avec son café noir / l’homme demanda au serveur / un nuage d’inconnaissance3 » (employé pour nuage de lait et analogue au lait d'absolu caillé). 

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William Blake, L'échelle de Jacob

« Il lui fallait accepter
que rien n'existât comme prévu
Que les escaliers mentaient
[au lieu de montaient ] au paradis »

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Une seule autre référence intertextuelle vraiment explicite (en plus d'une citation de William Blake sur la folie et la sagesse placée en exergue) nous est livrée :

« Au pied du Mont Analogue / il enfourcha l’existence / l’esprit cintré à son ivresse ».

 

Même si ce n'est pas le lieu de développer davantage ici, le détour par René Daumal (Le Mont Analogue4 mais aussi d'autres textes et poèmes) nous s'est imposé intuitivement comme une clé essentielle pour notre interprétation de Quantique de l'ombilic. Mettre en regard ces deux poètes philosophes nous semblerait tout à fait possible. Ainsi le début du poème « Les Quatre temps cardinaux » de R. Daumal : « La poule noire de la nuit / vient encore de pondre une aurore », ne nous semble pas très éloigné des images analogiques de C. Schaeffer : «"Il écrivit le dernier verre [employé pour vers] et se déversa au fond de la nuit ».

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Quant au mystérieux ombilic dont nous n'avons pas parlé, qu'il soit noyau de l'atome, nombril, centre du moi, ombilic du rêve5, axe du monde (symbole de la montagne mythique dans le Mont Analogue) ou noyau des mots, ou tout cela à la fois, il est bon qu'il garde son secret. Le poème-quantum situé à l'exact milieu du recueil en révélerait-il l'ombilic ? « Au fond de la chambre noire / elle développait avec minutie son secret / trempait l’œil dans le révélateur / faisant en sorte de croire à ce qu’elle voit »

 

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A moins que l'ombilic ne se trouve dans les interstices de l'ombre et de la lumière, ou à l'intérieur de la parole ?

« Quand il ouvrit la parole en deux / il espérait trouver le noyau du silence"

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Il reste tant au lecteur à découvrir. A chaque lecture, un nouveau sens-image surgit, affûtant notre attention. Ainsi goûtons-nous pleinement la "saveur" (cf. Daumal) des mets raffinés que Christophe Schaeffer nous offre pour le plaisir de la langue et du palais quitte à aller littéralement jusqu'à l'ivresse  !

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V1-21.07.2

 


Notes :

1. Voir par exemple : Monique Chefdor, « Le cantique du quantique », dans Guillevic maintenant…, H. Champion, 2011, p. 195-215. Michaël La Chance, "L’énergie de la parole dans la poésie quantique. Transmission artistique et déplacements existentiels dans le champmorphopoétique". Inter, (114), 2013, 73–79. ( https://www.erudit.org/fr/revues/inter/2013-n114-inter0575/69181ac/  ) (en ligne, consulté 15.07.2020).

2. Cf. Blog de Chistophe Schaeffer intitulé "Folle sagesse : Champs de ferments poétiques", https://folle-sagesse.blogspot.com/  

3. Sans doute allusion au Nuage d'inconnaissance « texte mystique anonyme du XIVe siècle se situ[ant] dans la pure lignée de la " contemplation obscure " qui va de Denys l'Aréopagite à Thérèse de Lisieux en passant par la " docte ignorance " de Nicolas de Cuse et la " nuit " de Jean de la Croix.» Voir Le Nuage d’inconnaissance, trad. Armel Guerne, 1re éd. Cahiers du Sud, 1953 ; rééd. Paris, Seuil, coll. « Points Sagesse », 1977 et 1998.

.4. Le sous-titre du Mont Analogue est "Roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques". Le mot "cintré" du poème-quantum de C. Schaeffer évoque l'idée de courbe caractéristique de l'espace non euclidien.

5. Cf. S. Freud, L'interprétation des rêves : « Chaque rêve a au moins un endroit où il est insondable, pareil à l’ombilic, par lequel il est rattaché à l’inconnu ».

 

Création et mise en ligne de cette page : 12.07.20 (annonce de parution). Maj 20-21.07.20 (note de lecture)