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H. Lapillonne. A bord d'âmes

 

 

Hervé Lapillonne

À bord d'âmes

[préface de Paul Jolas]

Lyon, Maison rhodanienne de poésie

Collection Rencontres Artistiques et Littéraires, 2002

63 p. ISBN 2-7245-0196-9.

Lapillonne a bord d ames couv


NOTE DE LECTURE

par Nathalie Cousin

Pourquoi, presque vingt ans après l’avoir publié, Hervé Lapillonne se préoccupe-t-il de solliciter une critique extérieure objective (mais comment être objectif quand il s’agit de poésie ?) sur son premier recueil poétique, À bord d'âmes ? Il faut croire que, peut-être, quel que soit le chemin parcouru, l’on revient toujours à ses premières amours. Ne connaissant pas le parcours de l’auteur, sinon par le titre de quelques autres recueils[1], serai-je à même de répondre à son souhait ?

Ouvrons donc ce recueil. Regardons-le comme s’il venait de paraître, dans sa fraîcheur initiale, ce qu’il est, de fait, pour moi qui le découvre.

Je suis frappée par l’abondance des mots et des images, la longueur de la plupart des poèmes, des strophes, des vers, à l’exception de quelques-uns plus courts et plus resserrés (Désir, Dans la foulée). N’accordons aucun sens péjoratif à cette prolixité, mais voyons plutôt en elle luxuriance et générosité, à la hauteur de la « quête d’absolu » du poète.

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec Paul Jolas, qui oppose dans sa préface poésie lyrique et poésie cosmique. Pour moi, les deux se rejoignent, le lyrisme englobant ici, dans un même souffle, tous les

thèmes ou « sentiments » abordés par le poète, dans ses rapports à la Nature, à la souffrance, à la vie et à la mort, à l’amour, à Dieu, à l’Univers (sentiment cosmique)…

Gardons en tête cette notion de lyrisme exacerbé, héritage possible, mais non exclusif, des poètes romantiques (Méditations poétiques de Lamartine, Les Contemplations de Victor Hugo…), caractérisé ici - outre l’opulence du verbe - par les répétitions de mots (« Absence absence absence […]» , Désormais j’oublie qui je suis) ou encore l’utilisation du « je » dit lyrique, qui garantit « l’expression personnelle des sentiments du poète[2] ».

Les dix-sept poèmes d’À bord d'âmes contiennent des qualités d’écriture indéniables ; Hervé Lapillonne affectionne les expressions métaphoriques telles que « le cratère de mon cœur », « l’horrible lave de l’angoisse » (Cracheur de flammes), « ton tulle d’absences » (Nuits blanches) ; il joue sur les ambivalences des éléments, celle du feu qui « Embrase / De joie / Ou destructeur (…) » (Visages) ; ailleurs, « le feu qui le brûle c'est encore la passion d'un Dieu, qui ne dévore jamais mais berce inlassablement les petits, comme un rythme essentiel à la Vie » (Subterfuges), ou bien de la « pierre mousse » alliant dureté et douceur (Souffrance). Son lyrisme se manifeste aussi par l’usage romantique du « ô » vocatif comme dans cette apostrophe : «Ô Lune des spectres farfadeurs et cortèges d’anges. » (Nuits blanches).

On se laisse bercer par le rythme de phrases entières en prose poétique sans autre ponctuation que leur point final : « Enfin flotte le navire sur des vagues incertaines le temps sera peut-être aux retrouvailles à l'horizon flotte le cœur du marin au rythme du roulis le marin cet homme entêté qui navigue très souvent dans le brouillard infâme à bord d'âmes évanouies. » (À bord d'âmes, poème éponyme du titre du recueil).

Dans À bord d'âmes, j’entends d’abord une paronomase avec le mot « abordage » dans le sillage de la thématique marine. Mais c’est bien des âmes, de l’âme, qu’il s’agit, ce mot si difficile à définir, souvent galvaudé, et pourtant toujours d’actualité, si bien remis à l’honneur par François Cheng dans un de ses livres, précisément intitulé De l’âme (Seuil, 2016). Pour Hervé Lapillonne, l’âme possède avant tout une forte connotation religieuse. C’est dans le poème Colombe que l’Esprit (l’Esprit-Saint, symbolisé par la colombe) se libère et libère en lui-même une voix « Oh ! Si ténue si infime ! » « Il avait découvert / Son âme son âme / Simplement / Enfouie depuis longtemps / Sous la croûte / De l'indifférence / Au battement de son cœur / Son âme découverte ! »

Dans le 8e poème, Cracheur de flammes, dominé par le Démon, symbolisé par le volcan, les forces telluriques de l’Enfer, ou l’hydre aux sept têtes, la « Petite voix de l’Esprit » jaillit à nouveau pour perdre Satan.

La découverte de l’âme et de la petite voix de l’Esprit cohabite chez Hervé Lapillonne avec la découverte de sa voix poétique propre. Tout se passe comme si les deux étaient liées indissociablement au point de n’en former qu’une. Les poèmes empruntent souvent un vocabulaire religieux : prières, litanies, oraisons, messes, chants funèbres (élégies), rituels de vie et de mort. Plusieurs poèmes épousent la structure formelle des psaumes en versets et le dernier s’intitule d’ailleurs Psalmodie. Le sentiment religieux et le sentiment cosmique se rejoignent dans le 13e poème, Étoiles, dont voici un extrait : «  Mais pour autant / La prière a-t-elle / Une cosmique frontière ? »  […] ; « Et chues / Étoiles de mer / Et filantes étoiles sœurs / Tout juste si le regard vif / En a saisi d'effroi / Le cours immense du temps / L'infini de l'Univers // Le doigt divin la seule corne / Extrême de l'ongle apparue / Dieu œuvrant / En son Art absolu. »

J’espère que cet essai de lecture permettra de faire découvrir ou redécouvrir ce premier recueil d’Hervé Lapillonne, à la faveur peut-être un jour d’une réédition ? Je ne sais pas si j’ai été assez « objective », mais j’aimerais conclure par ce vers du poème À bord d'âmes qui m’a particulièrement touchée :

« Cette ombre éprouvante c'est mon épouse en allée avec mes rêves dont résiste le cœur refleuri  » juste avant le passage déjà cité, sur « le temps [qui] sera peut-être aux retrouvailles », espérance que l’on retrouve dans le dernier poème et qui change l’Absence en Présence :

« Peines et réjouissances de l'homme / Présence enfin qui l'habite / De Dieu source inlassable d'Espérance » (Psalmodie).

 

 

[1] Cf. Veilleur (2008), L'aurore est plaie de naissance (2009), Une senteur de magnolia (2011), Folies (2011), Argent contant (2013) https://data.bnf.fr/fr/14434944/herve_lapillonne/ (consulté 28.03.21)

[2] Cf. Jean-Michel Maulpoix, « le lyrisme : histoire, formes et thématique... » https://www.maulpoix.net/lelyrisme.htm (en ligne, consulté 29.03.21)

 


Page créée le 28.03.21 ; 7.04.21 pour mise en ligne de la note de lecture. Remerciements à Hervé Lapillonne.

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