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Jeannine Dion-Guérin, une alternance entre la vie et la poésie.

 

« L’extase, c’est l’échange entre l’en-soi et l’en-dehors de soi. Le poème surgit de la quête d’unité. » Jeannine Dion-Guérin

Par cet extrait que je place en exergue de ce parcours que nous allons faire ensemble en périphérie de l’œuvre de Jeannine Dion-Guérin, tout est symbole de sa quête poétique qui s’échelonne sur tout un parcours de vie, où chaque œuvre prend coloration des périodes traversées tantôt en zone lumineuse, tantôt en zone d’ombre, parfois sereine, parfois bouleversée, aussi bien chaotique qu’extatique. Le souffle ! La vague !

La cohabitation de Jeannine Dion-Guérin avec la poésie est déjà une longue histoire. Aussi j’espère que cet échange se fera entre vous, Jeannine Dion-Guérin et moi-même, dans le cadre de cette rencontre du « Lundi des poètes »que nous devons à l’initiative de Monique Poulard, pour l’interprétation des textes à Claire Dutrey et à l’auteur, sans oublier l’encouragement de notre Président Vital Heurtebize.

Les œuvres de Jeannine Dion-Guérin sont nombreuses, je pense en posséder la majeure partie, de mémoire je pense à « L’amande douce-amère », « Le sang des cailloux », « Eclats de soleil », « Mines de fond », « De chair et de lumière », « Brève la migration », « Jeux d’osselets », « Le tracé des sèves »et plus proche de nous sa trilogie :« Le signe, quel signe », « Le sablier des métamorphoses », « L’écho des nuits », sans oublier les derniers nés « Les étoiles ne sont pas toutes dans le ciel », « Escale à Kelibia ». Bien entendu n’oublions pas les ouvrages thématiques et collectifs comme son magnifique ouvrage d’art numéroté : « VINCENT, de la toile au poème ».

Engageons-nous plutôt sur les chemins multiples et sinueux que nous offre l’écriture de Jeannine Dion-Guérin, l’inconnu et la surprise sont toujours à l’extrême. Nous sommes perpétuellement au cœur d’un inachevé convenu, d’un inaccessible souhaité, d’une quête pastorale révélant de l’amour sa signification universelle. Nous côtoyons l’alternance et la dualité.

Et c’est bien ce dialogue qui permet au poète d’exister. Chez Jeannine Dion-Guérin la poésie est un apprentissage permanent de la vie, un sage renoncement mais aussi une volonté de se réinventer, voire de se reconstituer. Jeannine Dion-Guérin nous place toujours dans l’étonnement, la révélation ou l’interrogation. Elle n’est pas du genre à s’autoriser des concessions, elle élague son écriture, épure son verbe afin d’en extraire la quintessence. Tout est observation, décryptage de l’infime, du « signe » imperceptible, voir discret ou désuet, mais pourtant si important à la densité de la pensée. Il est bon parfois de redéfinir nos certitudes, d’en découvrir les revers.

Par le jeu de l’écriture Jeannine Dion-Guérin tente une reconstruction de l’insignifiant qui érige souvent une voie débouchant sur l’amour, vaste éternel thème, réflexion toujours à recommencer car l’amour comme les mots se situent dans la précarité, un éphémère, un temporaire, une permanente vulnérabilité qu’il faut savoir consolider.

Il y a indéniablement chez Jeannine Dion-Guérin une nécessité viscérale d’aboutir vers un certain absolu, une sorte de méthode cistercienne qui équivaut à effacer ou occulter le superflu. Elle est pour elle-même et son œuvre d’une extrême exigence.

Ce regard qui porte vers l’essentiel est probablement le fruit de deux écoles distinctes, celle de Guillevic par affinité élective mais aussi, bien que différente, celle révélatrice de Pérec avec qui elle fit un stage. Autre grande ouverture sur l’humanité, sa voix en résonance avec Léopold Sedar Senghor qui ne fut pas sans laisser ses matériaux dans le champ d’action de Jeannine Dion-Guérin .

Il y a toujours une énigme existentielle imprégnant l’œuvre de notre amie, une interrogation offrant un sens aux causes et à leurs effets. Nous sommes à proximité d’une sensation à fleur de peau, d’un frémissement épidermique, nous découvrons toujours un remarquable lien avec les phénomènes naturels, c’est une sorte de complicité intemporelle qui s’ébauche ici. Rien n’est permanent, tout est fugitif, éphémère, et plus que quiconque la femme porteuse de vie en a pleinement conscience. Même quand elle use de tous les artifices possibles pour en reconduire l’échéance, Jeannine Dion-Guérin en est parfaitement lucide et par le truchement de la poésie elle bâtit une école de renoncement dans le but de découvrir d’autres petits joyaux, de possibles promesses pérennes :

« Des feux du soir nous saurons tirer pépites d’or… »

Chez elle, même lorsqu’il n’y a plus rien à attendre il y a encore à espérer, jusque dans le frisson d’une fleur tardive. Elle a le don de la métaphore, les mots, les situations, tout avec elle devient transfiguration. Les liens sont déclinés en toute subtilité, en délicates nuances, en parfums raffinés qui offrent au lecteur une ouverture possible sur tout un champ d’investigations.

Jeannine Dion-Guérin se livre totalement à la poésie, elle s’offre aux jeux mystérieux du verbe, jusqu’à une sorte de transcendance, elle vibre avec son écriture comme si elle donnait la vie. Malgré les profonds stigmates qui ont marqué sa destinée, elle demeure dans les mouvances du partage, de la sensualité, de la chair et du sang.. On la situe en permanence dans les sphères de l’amour, c’est une amoureuse inconditionnelle de la vie !

Il faut prendre le temps de s’imprégner des textes de Jeannine Dion-Guérin, elle y instaure une sorte de code d’approche, une règle de perception, un déroulement de lecture révélant ses images et métaphores. Ca serait un peu l’équivalent d’un labyrinthe avec promesse d’une clé d’accès au temple. Oui mais quel temple ? Celui des hommes ou des divinités ? Nous devons nous dessaisir de nos réflexes de lecteurs ordinaires, il est nécessaire de rompre avec le dérisoire, de nous « redécouvrir », d’ôter les bandelettes qui nous aveuglent. Nous sommes dans une sorte de dédoublement permanent, une dualité reflétée par le miroir. Qui est qui ? Le signe, quel signe ? Interrogation récurrente de Jeannine Dion-Guérin :

« Tout destin en son double de valeurs se marie. »

Par ce destin et au détour d’un vers, au hasard d’une image, au risque d’un mot, il n’est pas rare de retrouver trace de ces stigmates glanés sur les pistes tortueuses de la vie. Mais en frôlant la gravité, Jeannine Dion-Guérin n’en est pas moins ludique, allant jusqu’à tourner le drame en dérision :

Cour de récré,

Nous aurions pu sauter / d’un pied l’autre / sur une marelle d’étoiles

D’un bras l’autre / tendre la main / et lancer le palet

Nous aurions pu gagner / d’une case l’autre / l’Olympe paradisiaque des dieux

D’une âme l’autre / atteindre la voie ludique / des espaces lactés

Au lieu de cela / d’une vie l’autre / le destin nous fut alloué

De claudiquer sur cette terre/ en poussant la pierre / du mystère des mots.

C’est le plus souvent au cœur des nuits profondes, des nuits d’été étoilées que Jeannine Dion-Guérin glane ses plus beaux bouquets de lumière, elle fait de la nuit son exorcisme. La nuit devient la source de toutes réflexions, elle est son fanal, y trouve les réponses à ses interrogations, à ses qui suis-je ? que sais-je ?. Les paroles initiatiques de la nuit l’amènent à croire en un paradis.

Jeannine Dion-Guérin est d’une extrême sensualité, d’une extrême perception, sa poésie peut parfois se comparer à une vague vibratoire, à une brassée émotionnelle. Un monde d’images remonte en surface, s’éveille en nous, le temps se nivelle ! Elle évolue toujours en équilibre sur un filin tendu entre rêve et réalité, entre miracle et incrédulité.

Jeannine Dion-Guérin possède sa palette de mots comme le peintre ses couleurs. Ce sont ceux de l’âme, du cœur, de l’existence : corbeau, nuit, racine, sang, arbre, terre, humus, étoile, refuge, aimer. En

ceux-là nulle trace d’esprit religieux, de dogmatisme, mais une forte densité spirituelle, ce qui nous place plus haut sur les échelons de l’universel. Comme je l’ai souligné, lire attentivement Jeannine Dion-Guérin nous plonge dans une profonde émotion, un vécu authentique. Sa sensibilité érige en nous une multitude de visions, d’associations, de pensées, d’expériences.

Elle démontre également une prise de conscience sur le système actuel de notre situation sociale, sur la fragilité de l’environnement, sur la déconcertante ignorance de l’homme :

« Poète il est temps de t’en détourner… »

Jeannine Dion-Guérin a depuis longtemps conscience du virage très dangereux d’une société qui semble à court terme condamnée à l’uniformité, la stérilisation, l’aseptisation globale : drames de l’abolition identitaire, du nivellement de la personnalité, normalisation d’une pensée unique planétaire :

« Bientôt nous ne croiserons plus que l’anonymat de regards sans lumière… ».

Tantôt orfèvre, tantôt sculpteur, Jeannine Dion-Guérin porte au pinacle l’exigence du poème, elle taille ou incise son verbe dans le marbre de Carrare. En lisant ses textes, il m’arrive de songer à Saint François d’Assise qui dialoguait avec les oiseaux, les éléments naturels, la voûte astrale et ses constellations. Il est fréquent de trouver Jeannine Dion-Guérin sur ces degrés. Peut-être son petit côté paganiste et gaulois ? Notre passeuse de mots fait de la poésie un jeu qui s’ouvre sur le monde pour rejoindre les étoiles. C’et ainsi qu’elle se situe toujours dans l’émerveillement et passe du « Chant de la terre » (Mahler) à celui de l’univers.

Mais comment refermer ces pages sans évoquer la relation de Jeannine Dion-Guérin avec les arts, plus particulièrement les peintres auxquels elle a toujours été associée, avec lesquels elle s’est

toujours sentie en vraie proximité, complice, complémentaire. Je songe en premier lieu à cette magnifique anthologie d’art qu’elle a réalisée en 1990 pour le centenaire de Van Gogh, l’un de ses peintres de cœur en raison de son œuvre et de sa vie : « Vincent, de la toile au poème ».

Depuis cette lointaine collaboration avec le peintre GEB, recueil salué par L.S. Senghor, il y a eu le grand peintre flamand Jacky Duyck qui marqua notre amie. Il faut dire que la dimension de cet artiste est aussi surprenante que variée, avec lui nous sommes dans une alternance figurative et abstraite de belle qualité professionnelle. Il sera l’illustrateur de « Le signe, quel signe ». Plusieurs de ses autres recueils portent l’empreinte d’amis peintres, dont Wilfrid Ménard qui illustrera « Le sablier des métamorphoses ». Personnage de grande qualité humaine. Wilfrid Ménard est un excellent artiste, un novateur permanent qui ne se satisfait pas de l’acquis et sans cesse innove, découvre et invente de nouvelles techniques dans les domaines d’expression les plus variés, nous étonnant toujours par ce talent boulimique multidimensionnel. Il lui arrive parfois même de s’étonner lui-même des résultats des multiples graines qu’il sème.

Belle rencontre également avec un autre artiste d’une grande délicatesse et rare subtilité : Casimir Farley originaire des Etats-Unis dont vous découvrirez les illustrations dans « L’écho des nuits ». D’une haute spiritualité Casimir Farley chemine dans une quête de lumière permanente avec une rare maîtrise du trait et de la composition. Rarement j’ai rencontré artiste aussi soucieux du détail et détenant une telle remise en cause de son travail. Pour lui une œuvre d’art n’est jamais achevée, il est tout à fait capable vingt ou trente ans après de reprendre ses tableaux et de les corriger.

Dernière belle rencontre en date, celle de Marie-Geneviève Simon-Ballou-, une passionnante et singulière plasticienne avec laquelle sera réalisé un remarquable ouvrage d’artiste : « Les étoiles ne sont pas toutes dans le ciel ». Compromis réussi entre des encres d’une grande pureté et profondeur, révélant un univers d’énigmes diaphanes, et une poésie tombée du ciel. Ici le verbe incise l’encre et l’encre met en variation la transparence du verbe. Délicate osmose au service de la beauté, de la création et de l’émotion :

« Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on devient simple et naturel ».

Vincent Van Gogh écrivait : « Si une peinture de paysan sent le lard et le fumet, l’odeur des pommes de terre, c’est bien… »

Je refermerai la boucle sur cette périphrase : « Si une encre et un poème sentent une complicité d’amitié, c’est mieux ! »

Tel a toujours été le chemin de Jeannine Dion-Guérin, une symbiose entre les méandres incertains de la vie et la transcendance de la poésie.

Michel Bénard

Lauréat de l’Académie Française

Chevalier des Arts et des Lettres

Texte reproduit avec l'aimable autorisation de Michel Bénard que nous remercions. Lu par Michel Bénard le 22 septembre 2008,
Société des Poètes Français, 16 rue Monsieur le Prince PARIS 75006.

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