Le pépé sur sa chaise

Après une rude montée escaladant péniblement le Causse de Séverac, nous roulions sur la petite route. A la sortie d'un bois de pins, isolée, une vieille ferme ouvrait sa cour blanche de soleil. A l'ombre d'un énorme tilleul, aussi vieux que lui, le pépé était assis sur une chaise, les mains posées sur une canne. On avait dû l'accompagner le le laisser à sa place favorite.

L'image de notre voiture ne fut qu'un passage devant lui, moins important que le vol d'une caille ou les baîllements du chien un instant réveillé.

Le regard du pépé se reposait sur ce paysage dont il devait connaître les moindres détails, - le mur gris de la ferme dont il avait peut-être ajusté les pierres une à une, les frênes balançant mollement leur feuillage, les herbes sèches et les pierrailles du plateau, les champs de seigle encore verdoyants autour de la masse de verdure de quelque ferme lointaine.

Il devait savoir, le pépé, les détours des sentiers de terre rouge et les rochers usés, dans les chênes rabougris, les buis sombres et les genévriers hérissés.

Revoyait-il le temps où il allait derrière ses brebis, ou cheminait sans hâte devant son attelage de boeufs ?

Revivait-il la saison des semailles dans les petits enclos de terre sèche, la saison des foins avec la poussioère et la sueur et sa femme au chapeau noir maniant le rateau, la saison des chasses avec les culs-blancs déboulant devant son chien ou le perdreau foudroyé dans un nuages de plumes ?...

Que de tourmentes d'hivers glacés hurlant autour de la ferme, que de brûlures d'étés torrides pesant sur le plateau, il avait lentement égrenées au cours de sa vie, et qui défilaient peut-être devant ses yeux...

Quels souvenirs, affaiblis par la langueur de cet après-midi de juillet, regardait-il paisiblement sur le Causse, le pépé asis à l'ombre du tilleul sur sa chaise de paille ?

Robert MICHEL


Mise en ligne 1.6.20 par Nathalie Cousin alias La souris curieuse. Poème publié dans la rubrique "Aquarelles", le Bulletin d'Espalion (?)  (date inconnue),envoyé par l'auteur, avec tous nos remerciements.