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Coup de gueule de R. Nadaus

SPLENDEUR ET MISERE D’ERATO

Je sais bien que comme l’écrit Brice Parain « la vie privée ne saurait servir  de preuve». Mais en l’occurrence vie privée et vie publique se sont croisées : la Poésie en fut cause. Je n’évoquerai ici que deux de ces occurrences : la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines et le sort fait à mon dernier recueil paru par certaine presse régionale.

Mais d’abord cette douleur et cette colère ‒ cette preuve aussi que la poésie est bien située dans le champ social et politique : un des premiers actes de la nouvelle majorité qui, à une voix près, gouverne l’Agglo de St-Quentin-en-Yvelines (SQY) a été de fermer La Maison de la Poésie ! J’avais fait bâtir à cette maison il y a plus de quinze ans lorsque, président de l’agglo, j’avais décidé de démissionner pour passer le relais à un successeur. Les années précédentes j’avais inauguré plus de 150 équipements publics, une Université, un Théâtre scène nationale, etc. (et je ne compte pas les implantations d’entreprises comme le Technocentre Renault et tant d’autres). Mais si je n’ai accompli cet acte qu’en fin de mandat (alors que je venais d’être réélu) c’est parce que j’avais été sérieusement échaudé par des refus ‒ parfois virulents‒ lorsqu’il s’était agi d’édifier un nouveau théâtre et de créer une université, par exemple. Les attaques furent violentes et bien souvent mensongères voire calomnieuses. Alors vous pensez : une Maison de la Poésie ! ‒ Même si ce ne devait être qu’un modeste équipement adossé à la future médiathèque Jean Rousselot, à une maison de quartier et une salle d’exposition, mille fois plus grandes…

J’obtins un vote positif avec l’assentiment (partiel mais solidaire) de la majorité et l’abstention d’une toute petite partie de l’opposition d’alors. Par contre le gros de celle-ci se déchaîna et, outre quelques injures sur « la danseuse de Nadaus », plusieurs mensonges répandus dans la presse, j’eus droit aux honneurs (!) du mensuel national « Capital » ‒ bien connu pour son attention à la Culture et sa très vive curiosité de la Poésie… Le refrain était le même mais le mensuel y ajouta la perfidie d’un bref extrait d’un de mes poèmes, érotique certes mais devenu pornographique puisque sorti de son contexte : un recueil autour de la… Préhistoire !

Mais j’eus la joie de voir cette Maison de la Poésie inaugurée par Jean Rousselot, en compagnie de Lise London et de la ministre Catherine Tasca. En présence de plus d’un millier de personnes. Et dans mon discours de réponse, j’ai même lu un poème : on m’a rapporté que le maire de Versailles accompagné de son adjoint à la culture, deux de ces rares hommes cultivés dans le paysage politique d’alors (mais ils sont encore moins nombreux aujourd’hui) eurent un échange sur le thème : «Ah, Roland a raison et il a bien du courage, les Versaillais sont trop cons pour accepter ça… ». Mais ce serait trop long à raconter ici : sinon que, preuve par neuf d’un équipement public aujourd’hui en friches, la Poésie a une dimension irrémédiablement politique. Dès l’origine. À moins de la cantonner dans sa version décorative, style pompier ou masturbation laborantesque : petits oiseaux, rimes d’infortune, gazouillis de salon ou incompréhensible chiures de mouches à épater les gogos.

Pendant une quinzaine d’années, sous la direction de Jacques Fournier (que recruta mon successeur) la Maison mena cent-mille actions, accueillit plus de trois-cents poètes (en les défrayant voire en les rémunérant, ce qui est plutôt rare n’est-ce pas ?).  Sa petite salle de spectacles (une centaine de places) avec son bar et sa galerie-couloir, entendit et partagea des voix, des œuvres, des créations d’une grande diversité : le directeur jamais ne fut soumis à aucune injonction. Et surtout pas de ma part.

            …/…

Mais voilà : les opposants hargneux d’hier deviennent en 2014 la majorité revancharde d’aujourd’hui. Et ayant commandé un audit (c-à-d ses résultats !) Ils décident de fermer la Maison, la seule en France, me semble-t-il, à être directement gérée par une collectivité publique. Et siège de la Fédération des Maisons de Poésie En prétextant, entre autres, qu’elle n’accueille qu’une centaine de personnes par spectacle, oubliant volontairement les 3500 autres, chaque année, dans les écoles, collèges, lycées, centres de loisirs, maisons de retraite, établissements d’insertion, librairies, universités, etc.  ‒dont la prison de Bois-d’Arcy ! Mais vous l’aurez compris : plutôt rien qu’une Vraie Maison ! la Poésie au trottoir ! Je suis passé il y a quelques jours devant le bâtiment : une toute petite porte vitrée fermée à clé avec, pour combien de temps, du mobilier urbain sur lequel on peut encore lire un poème. La médiathèque Jean Rousselot ne désemplit pas. La maison de quartier Théodore Monod vit une vie de ruche. La salle d’exposition accueille de très grands artistes autant que des écoliers et des amateurs. Mais la Maison de la Poésie, les « Ils » l’ont fermée. Employés licenciés sauf quelques titulaires reclassés. Toute une équipe démantelée. Un public déboussolé. Et après vous oserez dire que la Poésie n’a rien à voir avec la Politique ‒ ni la Philosophie‒ ? Ce matin-là, devant la porte close, un instant j’ai pleuré.

Et puis je suis retourné dans mon bocage, vite fait. Mais bocage si vite défait lui aussi… C’est là ‒ « Ici » pour moi désormais‒ que j’ai écrit à trente ans d’intervalle ce recueil double « D’un bocage l’autre » (Ed. Henry). Dans la première partie, j’évoque ce paysage rural qui est aussi un paysage intérieur : j’ai écrit ça avant que l’imprimeur de mon éditeur d’alors ne fût emprisonné pour une des plus grosses affaires de fausse monnaie. Du coup, voyez ma chance, le recueil ne fut disponible que pour un modeste service de presse (élogieux au demeurant) tout le reste étant mis sous séquestre. Et donc aucune diffusion. Plusieurs années après, un site Internet me demande d’en publier des extraits. Je relis la chose. Et découvre avec horreur que mon bocage n’est plus du tout le même ! Alors j’écris quelques nouveaux poèmes en prose pour crier ma douleur et ma colère. Voici la version 1 de « Bocages » :

ARCHIPEL DU BOCAGE

 

        C'est mon île. L'archipel de mes yeux. Tous ces prés entre haies vives   -Et ces champs où marcher c'est revivre, parce que la boue colle à la vie comme cette herbe aux pattes des bêtes entre ruisseaux lourds et prés mûrs.

            C'est mon île. -Je n'y mourrai pas : on ne meurt jamais là où c'est déjà revivre  -tous les ressuscités vous le diront.

  Mon île, mon bocage. L'archipel de ma vie. Mes îles vertes sous le vent, ma pluie.

 

        ‒J'en suis bête comme un amoureux.

 

Et voici la version 2 qui commence ainsi :

LE GRAND MASSACRE

 

Le Grand Massacre a commencé.

                        Ce matin nous avons été réveillés par le chant des tronçonneuses. Ont vite

suivi les craquements des émousses et des chênes -qu'on abat. Puis le bruit sourd de leur

effondrement.                                                                                                                        …/…

                        Des engins de travaux publics ont poursuivi le carnage. J'ai bien cru que Jésus-la-Rouille, sur son calvaire de granit, allait y passer lui aussi. Mais le bulldozer s'est arrêté à ses pieds.

 

                        À la fin de la journée, tandis que le cou du soleil rougeoyait encore, on voyait des fumées noires monter des bûchers. L'odeur violente des branches, des feuilles, des brindilles, arrosées d’huile de vidange pour mieux flamber, et le crépitement de la sève, brûlée vive, donnaient envie de vomir.

                        Aucun corbeau, aucune corneille -pas même une buse : tous faisaient le détour.

                        Dans la nuit clairsemée de braises, seule une dame blanche a traversé le champ de notre regard fasciné -et larmoyant.

Eh bien même si un hebdo régional eut le courage de me consacrer presque toute une page, je m’entendis signifier par un rédacteur en chef gêné (qui avait pourtant recensé plusieurs de mes livres précédents) : « Non, vous comprenez notre journal ne peut pas se fâcher avec la FNSEA »… Quant aux autres de la PQR,  ils n’eurent même pas le courage de m’avouer que c’était « ça ».

Eh bien ce « ça » se nomme Poésie. Quand les mains ont des mots. Quand les mots ont des mains. Sans les confondre cependant. Sans les confondre. À la veille des élections départementales puis régionales, interrogé par une journaliste, j’ai proposé qu’il y ait dans chaque région au moins une Maison de la Poésie et, dans les grandes, au moins une par département. Aujourd’hui on en ferme.

Roland Nadaus

roland.nadaus@wanadoo.fr

01 30 43 47 78 (Guyancourt)  et  02 43 03 82 69 (St Aignan de Couptrain).

Je me permets de vous adresser copie du texte : « Splendeur et misère d’Erato ». Je l’ai écrit pour la Maison de la Poésie du Nord-Pas-de-Calais, sur la sollicitation de celle-ci.

 

          C’est un témoignage.

Comme le proclame Jean-Pierre Siméon, directeur artistique du Printemps des Poètes, dans son livre  « La poésie sauvera le monde », ce que j’ai vécu est preuve que la Poésie, quoi qu’on en dise et malgré le silence des médias (qui n’ont pourtant que ce mot à la bouche dès qu’il s’agit de choses « émouvantes »…), que la Poésie, dis-je, est bien au cœur de la Politique.

Mais je vous laisse lire le texte, en espérant que vous aurez le temps de le faire –et y trouverez quelque intérêt.

Bien à vous,

email reçu le 20.01.16

 

 

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