Kenneth White : La route bleue (extrait)

« Le Labrador. C'est l'année de mes onze ans que ce pays, la terre que Dieu donna à Caïn, comme le désigna le capitaine Cartier, me fit signe. Cela, je le dois à un livre et aux images qu'il contenait : des Indiens, des Esquimaux, des montagnes, des poissons et des loups blancs hurlant à la lune.
(...) Voilà comment je me suis aventuré sur cette route bleue.
Mais qu'est-ce qu'une route bleue ? me direz-vous. Je n'en sais trop rien moi-même. Il y a  le bleu du grand ciel, bien sûr, il y a le bleu du fleuve, le majuestueux Saint-Laurent, et, plus loin, il ya le bleu de la glace. Mais toutes ces notions, ainsi que quelques autres qui me viennent à l'esprit, si elles parlent à mes sens et à mon imagination, sont loin d'épuiser la profondeur de ce "bleu".
Ce serait donc quelque chose de "mystique" ? (...)
Peut-être la route bleue est-elle ce passage parmi les silences bleus du Labrador.
Peut-être l'idée est-elle d'aller aussi loin que possible - jusqu'au bout de soi-même - jusqu'à un territoire où le temps se convertit en espace, où les choses apparaissent dans toute leur nudité et où le vent souffle, anonyme.
Peut-être.
La route bleue, c'est peut-être tout simplement le chemin du possible.
De toute façon, je voulais sortir, aller là-haut et voir

Kenneth White : La route bleue,
Grasset, 1994 (1er DL 1983),
Extrait. de la préface, p. 11-12.

 

×