Rencontre avec Federico

 

Le soleil assoiffait la plaine paresseuse
Qu'une route-serpent incisait au couteau.
Pas de fleurs, pas de sève, et rien qu'une berceuse
Qui lancinait au lit d'un exsangue cours d'eau.
Comment étais-je là, que faisais-je à cette heure,
Sous ce ciel incolore, embleui de néant ?
Pourquoi cette sierra qu'un souvenir effleure
De ceux qu’on fit mourir aux pieds de ce géant ?
Le midi était lourd au front de la Castille
Et je montais encore et je montais toujours.
Je me voyais déjà prenant cette Bastille
Où des morts trop vivants prolongent leurs séjours.
Une croix se brandit du ventre de l'Espagne
Comme un phallus d'orgueil insultant au cosmos.
Un malaise incertain tout à coup m’accompagne

Au cœur de la vallée offerte aux « caïdos »[1]

Le soleil blanchissait la rocaille lépreuse
Que lézards argentés polissaient lentement.
Je croyais percevoir les cris d'une pleureuse
Alors que je passais le seuil du monument.
Je mesurais mes pas sur la dalle trop blanche,
Et si propre aujourd’hui que c'en était suspect.
Fallait-il, ô combien, que ce sol fût étanche
Pour que le sang perdu n'entachât son aspect !
Des milliers d'innocents, otages d'un régime,
Ont creusé ce rocher, saisons après saisons.
N'avaient-ils pas voulu d'un pouvoir légitime,
De Justice et d'Amour, de libres horizons ?
La pénombre au dehors réveille la campagne,
Peut-être ma pensée aura-t-elle un écho ?
Un malaise certain maintenant m’accompagne

Car me voici devant la tombe de Franco.

         
Qu'un doigt de flamenco n'aurait pu soulager.  
Passent des Espagnols, la mémoire rêveuse,
Qui ne voient même pas que je suis l'étranger !
Ils viennent saluer la honteuse dépouille  
De cet aventurier devenu dictateur.  
Mais voilà que d'un creux de cette gent qui grouille
Je vois se détacher un noble visiteur.  
Federico est là, au rendez-vous fidèle,  
Et, regardant ses yeux, je le vois qui sourit.  
Aurait-il deviné ce que mon coeur recèle  
Et l'enivrant désir qui grise mon esprit ?  
Je sais qu'en d'autres temps j'eusse encouru le bagne
Et peut-être aujourd'hui serais-je au moins lynché.
Un bienaise idéal à présent m'accompagne :  

Oh Oui, Federico, sur la tombe ai craché.

 

 

[1] Prononcer: Ka-Î-dos.

Yves-Fred Boisset
poème aimablement communiqué par l'auteur le 20 décembre 2018.

Voir le blog d'Yves-Fred Boisse


Mise en ligne de cette page : 30.12.18. Tous remerciements à Yves-Fred Boisset.