J. Dion-Guérin. A l'ombre du baobab

Jeannine Dion-Guérin, À l’ombre du baobab : rencontre du poète Léopold Sédar Senghor, présentation de Henri Arphang Senghor, Éditinter, 2017. ISBN 2353281702 - 20 € (+ 6 € de port). – Contact : guerin.jeannine@sfr.fr (77 bis, rue des Chesneaux, Bât. D, 95160 Montmorency). http://jeanninedion.canalblog.com/


 

NOTE DE LECTURE
« Confidences d’une “Étoile de l’Aube 1
dans la senghorienne nuit du baobab »

par Nathalie Cousin


 « À vous, lecteur, la liberté et le choix
de votre ressenti personnel… » (p. 159)

Ce livre étonnant, voire détonnant, est le récit de la rencontre entre une poétesse française, ex-directrice d’une école maternelle, et le Président poète Léopold Sédar Senghor, un des chantres les plus illustres de la « Négritude ».
À l’ombre du baobab  diffère en effet de tous les écrits sur Senghor que nous connaissons. Avec un « affectueux respect » (p. 146) mêlé parfois d’une pointe d’humour primesautier, Jeannine Dion-Guérin nous offre un témoignage émouvant et inédit à travers une vision très personnelle :
« Plus qu’à l’écrivain, c’est à l’homme attentif et simple, à l’homme ouvert, à “ l’honnête homme ” au sens ancien du terme, que j’ai choisi de rendre hommage » (p. 234).
Pour faire la genèse de sa rencontre poétique avec Senghor, elle doit remonter le cours de l’intranquille fleuve de sa propre vie « en recourant au besoin à l’introspection » (p. 77). Semant un à un ses cailloux de Petit Poucet, elle commence donc par le récit de son enfance, marquée par la mort prématurée de sa mère, puis de son père. Ce double traumatisme va être à l’origine, plus tard, de sa vocation de poète et notamment de la découverte du « pouvoir résilient de la poésie » (p. 146). Dans A l’ombre du baobab, elle « [s]’attèle à tant d’apparentes contradictions, celles qui soulignèrent la singularité de [s]on enfance, son complexe d’abandon et son long périple de résilience. Oui ce récit est bien la conquête du Père » (p. 100).

C’est lors du Congrès international de Poésie à Marrakech en 1984 où est présent Senghor, qu’elle prend « conscience de [s]on étonnante proximité avec la poésie africaine » (p. 54).
Quelques années plus tard, en 1990, elle décide de monter un grand concours international autour de Van Gogh, reliant art et poésie, et elle ose écrire pour la première fois à Senghor pour lui demander s’il accepterait que ce projet soit placé « sous son haut Patronage ». Senghor lui ayant répondu favorablement, cette expérience devient le point de départ d’une correspondance amicale, fidèlement entretenue jusqu’à la mort de Senghor en 2001.

Un des intérêts du livre de Jeannine est bien la publication de ces échanges épistolaires inédits qui témoignent de leur « complicité poétique » (p. 75) et de la « modestie bouleversante » (cf. Maurice Druon cité, p. 142) de Senghor lui-même. Quel plus beau compliment pouvait-elle recevoir de la part de celui qu’elle considère désormais comme son « guide spirituel » (p. 147) et son « Père symbolique » (p. 231), quand il reconnaît dans tels poèmes de Jeannine sa propre conception de la poésie nègre africaine : « une image ou un ensemble d’images analogiques, mélodieuses et rythmées » (p. 98), « phrase qu’il complète dans un autre de ses écrits : “  Je dis analogiques parce qu’ici […] les images sont plus que symboliques. La relation entre signifiant et signifié n’est pas seulement pensée ; elle est sentie jusqu’à l’identification. Elle est chantée, rythmée, dansée. Je dis : ‘vécue’” » (p. 118).  

Cette question des images analogiques est une des clés fondamentales pour comprendre, ou plutôt ressentir, la poésie de Senghor, comme celle de Jeannine. Celle-ci se défend de vouloir faire de l’analyse littéraire. Elle préfère citer des extraits de poèmes et en livrer son « ressenti personnel », ainsi pour Congo, poème sur lequel elle reviendra plusieurs fois : « C’est qu’il me parle, qu’il me chante, m’enchante, me danse, m’embrase et m’émeut. Oui, tout cela à la fois ! Vive l’élégie ! » (p. 177). Elle note « ces pages d’exultation, de sensualité triomphante qui empruntent le pudique travesti habituel des images, tout en leur offrant une incarnation débordante sous le couvert des “ analogies  ” chères à l’auteur, celles que lui suggère l’eau du grand fleuve, maternelle matrice avant de devenir l’Amante » (p. 178).

Cependant, les analogies ne doivent pas faire oublier les différences.
À ce sujet, une remarque de Francis Ponge nous paraît intéressante dans notre contexte : « Les analogies, c’est intéressant, mais moins que les différences. Il faut, à travers les analogies, saisir la qualité différentielle2.  »
En effet, le premier titre donné par Jeannine à ce livre en hommage à Senghor était : « Vous disiez Différence ?3  », « ce mot qui permet de distinguer une entité d’une autre, mot plus souvent employé pour diviser que pour unir » ((Henri Arphang Senghor, p. 11). Mais avec Jeannine Dion-Guérin, l’aspect polémique s’efface au profit du respect de la différence.

Une des grandes originalités du livre de Jeannine est de faire dialoguer les poèmes de Senghor et les siens, à la manière de « chœurs alternés » africains.
Jeannine partage avec Senghor des thèmes (images simples) privilégiés tel que l’Arbre identifié à l’Autre, le fleuve identifié à la femme (Congo), la Nuit, l’Ombre et la Lumière, etc. Plutôt que d’établir des comparaisons raisonnées, il s’agit plutôt d’exprimer, « d’échos en échos », de signes en signes, des émotions et des sentiments liés aux images, de faire sentir le rythme, la musique, pour « que dansent les mots » (p. 241), que « le Verbe [se fasse] chair » (p. 92), soit « poésie du sens et des sens » (p. 222).

Tout au long d’À l’ombre du baobab, à travers sa lecture de Senghor, Jeannine « [s]’interroge sur [s]a propre négritude »  et finit par s’assumer pleinement « dans [s]a peau de négresse blanche » (p. 76). Elle va même plus loin en généralisant : « D’où qu’il vienne et d’où qu’il soit, chacun doit faire face à sa “ Négritude” qu’elle soit d’âme, d’origine ou de culture… » (p. 159).

Ainsi, par le jeu entre les analogies et les différences, le métissage et l’ « union des contraires » (p. 230) ouvrent « la voie du “  Connais-toi toi-même ” » (p. 231).  En écho, à nouveau, nous nous permettons de citer Francis Ponge : « Quant à moi, l’idée de ma différence me suffit, et le plus important me paraît être d’accepter, de bien connaître et d’aimer sa différence, de la vouloir4.  »

Jeannine Dion-Guérin retient du message de Senghor la nécessité d’un engagement : « Être poète, c’est d’abord vivre en poésie, en témoigner, s’engager par nos actes et nos écrits » (p. 150).
Elle partage avec lui les mêmes valeurs humanistes : communication, paix, dignité, fraternité, amour universel, espérance, respect dû aux ancêtres et aux morts.

« L’oralité [faisant] partie de [s]es passions depuis toujours. » (p. 133), elle multiplie les occasions de parler de Senghor, de déclamer par cœur ses poèmes sur des scènes de théâtre, de cabaret ou ailleurs, parfois accompagnée de musiciens griots, de faire également des conférences, des émissions de radio, et bien d’autres actions poétiques.
Tout ceci lui a valu, en 2010, parmi d’autres honneurs et distinctions, le Prix européen francophone de poésie Léopold Sédar Senghor.

Quel chemin parcouru, de la « poétesse anonyme » de ses débuts, à la poétesse qu’elle est devenue, auteur d’une œuvre poétique aux multiples ramifications, dont Senghor - avec Guillevic cité en exergue d’À l’ombre du baobab  - reste une des racines premières…
« Heureux le puisatier tenant une fine baguette de coudrier si celle-ci le mène à la source ! Senghor fut mon puisatier, je n’en suis que la baguette, mais il a su me mener à la source de moi-même » (p. 204).


1. Surnom que Jeannine Dion-Guérin s’est donné à elle-même lorsqu’elle était enfant, cf À l’ombre du baobab…, p. 49.
Toutes les références de pages renvoient à cet ouvrage.

2. Francis Ponge, Méthodes, Œuvres complètes, I, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 536.

3. Cf. Blog de Jeannine Dion-Guérin, « Présentation de  Vous disiez Différence ? », 13 juillet 2013,

4.Francis Ponge, Lyres, Œuvres complètes, I, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 506.


Mise en ligne de cette page : 4.2.18 - Recension à paraître dans la revue Littérales.