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Notre-Dame

« N’accuse personne pour cette chienne de vie

On est tous de passage

Tous

Cœurs ébouillantés »


(Violeta Šoblinskaitė-Aleksa)


« L’œuf du soleil donne naissance à la volière des flammes.

Et, réciproquement, les coqs des flammes,

à leur moment hypnotique et de plus grande intensité,

donnent naissance à l’œuf du soleil. »


(Francis Ponge, Le soleil placé en abîme, Gallimard, Pléiade, I, p. 786)

L’incendie de Notre-Dame de Paris a provoqué une effervescence mondiale, comme si l’embrasement de cette cathédrale témoignait de l’embrasement du monde. Partout, on ne parle que d’elle et déjà le monde bouillonne d’idées pour la rebâtir. On fait appel aux dons, on ouvre des paris, quatre ou cinq ans ? quarante à cinquante ans ? dix à vingt ans ? Difficile de garder la tête froide. L’effervescence est à son comble, les médias s’emparent de l’événement comme d’une manne. Le brasier est dans toutes les mémoires, trouble les esprits les plus indifférents, le crépitement des flammes s’infiltre dans les âmes.

Le lundi 15 avril 2019 les images défilent en boucle, tous les journalistes se pressent. Ce soir-là, la foule assiste impuissante et horrifiée à ce que les journalistes osent appeler « spectacle » ! un bien triste « spectacle »…

Notre-Dame brûle sur son propre bûcher comme une sainte martyre. Les images font le tour du monde.

Le jour de Pâques, à la fin de la même semaine, au Sri Lanka, les attentats se multiplient, font des centaines de victimes. On en parle, certes, mais bien moins que de Notre-Dame. Le Sri Lanka, c’est loin, à combien de kilomètres de Paris ?

Et nous, « cœurs ébouillantés », que faisons-nous ? Que pouvons-nous ? Comment faire pour que les ferments de discorde et de haine, au lieu de s’attiser toujours davantage dans une escalade de violence inouïe, se changent en ferments de compréhension et d’amour mutuel, à l’échelle planétaire ?

Notre-Dame, il a fallu ce drame pour que l’on remarque que tu étais là depuis des siècles, l’on passait parfois devant toi sans y faire tellement attention, si habitués à ta présence qu’on te croyait impérissable, inébranlable, et voilà que tu as bien failli disparaître, et il n’est même pas sûr que tu puisses être vraiment sauvée.

Te reconstruire à l’identique, comment le pourrait-on ? Ne risque-t-on pas de te rendre méconnaissable, de t’enlaidir en voulant te donner un autre visage ? Comment seront ta nouvelle charpente, ta nef, ta flèche ? Beaucoup seront morts avant de te voir rebâtie.

Quand tu renaîtras de tes cendres, tu rouvriras tes portes au son des cloches et des grandes orgues victorieuses… Et ce jour-là, sûrement un jour de Pâques, d’intense ferveur, il y aura une fête et la foule sera en liesse.

Quand les « cœurs ébouillantés » des hommes cesseront de se haïr et de se détruire, pour vivre dans l’effervescence de l’amour et de la joie, la planète tout entière, de la terre au ciel, sera sauvée, mais il faudrait que cela arrive avant que les poules aient des dents… s’il reste encore des poules, des coqs, et des œufs, au Marché aux fleurs et aux oiseaux, à Paris, Île de la Cité…


Nathalie Cousin

1-4.05.19

Pour le Coin des poètes,

Samedi 4 mai 2019, thème : Effervescence

Cf. « Soirée », poème de Šoblinskaitė-Aleksa, dans Cœurs ébouillantés, 17 poètes lituaniennes contemporaines, l’Harmattan, 2013, p.87.

Devenu Le marché aux fleurs Reine-Elizabeth-II, 37 Place Louis Lépine, 75004 Paris.

Site Cathédrale Notre-Dame de Paris


5.5.19