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Un si joli jardin

C'était un bien joli jardin qui attirait le regard devant une maisonnette quelconque. Les fleurs des saisons - jonquilles, oeillets, lupins, chrysanthèmes - apportaient toujours des nuances fraîches, de part et d'autre du potager. Le chassis découvert regorgeait de tendres salades. Dans les carrés tracés au cordeau, le céleri frisait, sombre, les poireaux s'alignaient, drus et bleutés, les tomates se suspendaient aux piquets, languissantes...

Jamais je ne vis le jardinier qui, patiemment, sarclait et arrosait, pourchassait la mauvaise herbe et ordonnait ses semis. Jamais je ne le vis sur son vieux banc, épongeant la sueur de son front et méditant dans son petit domaine, clos par une grille chargée de roses fanées, en juin.

Les roses fanées s'effeuillent toujours sur le sol. Mais, depuis les premiers jours d'avril, les signes d'abandon s'étalent insolemment, de semaine en semaine. Les arceaux rouillés du chassis disparaissent dans les orties, l'herbe folle a effacé la géométrie. Quelques salades montées perpétuent l'espèce, obstinément, en dépit des chardons menaçants.

Un tas d'herbes sèches témoigne d'un faible et vain effort pour endiguer l'élan sauvage et vététal : la vieille compage du jardinier s'est résignée à ce triste spectacle d'anarchie verdoyante...

Je m'en doutais : le jardinier n'est plus.

Le jardin a donc perdu sa beauté raisonnée. La vie y continue, furieusement, mais sans amour...

Robert MICHEL


Mise en ligne 1.6.20 par Nathalie Cousin alias La souris curieuse. Poème publié dans la rubrique "Aquarelles", le Bulletin d'Espalion (?)  (date inconnue),envoyé par l'auteur, avec tous nos remerciements.